Auteur de livres à succès, l’expert en marketing digital Bertrand Jouvenot nous livre ses conseils pour écrire son premier ouvrage d’expert. Vous avez un projet d’écriture catégorie non-fiction ? Vous rêvez d’être édité ? Voici, sans langue de bois, ses réponses aux questions que je lui ai posées, inspirées par mon sondage sur LinkedIn.
Bertrand, quel est parmi tous tes livres, celui qui a remporté le plus de succès et quelles en sont les raisons selon toi ?
B.J : Pour un premier livre, Le journal de BJ au bureau s’est particulièrement bien vendu. Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer ce succès. Tout d’abord l’originalité du concept et le ton, puisqu’il s’agissait d’une découverte de l’entreprise à la façon « Journal de Bridget Jones ». L’esprit journal intime, tenu par un homme, était encore nouveau.
Ensuite, le bon accueil de la presse a beaucoup aidé. Deux articles positifs parus la même semaine dans Le journal Le Monde et dans Libération, ont engendré une succession d’autres papiers dans la presse hebdomadaire, puis mensuelle.
Enfin la créativité marketing qui a accompagné la sortie du livre aurait semble-t-il beaucoup aidé. On se rappellera la publication de passages du livre, sous forme de feuilletons, dans 20 minutes, dans Management Magazine, ou dans le Journal du net… Et puis du blog consacré au livre. Le tout a propulsé les ventes sur Amazon, ce qui a permis aux Chinois de le repérer puis de le traduire, une première fois pour Hong Kong et une seconde pour la Chine continentale. Il sera aussi traduit en coréen !
Mais le succès commercial d’un livre ne saurait se résumer à sa sortie. Mon troisième livre Mode & Internet : Le marketing épinglé a connu un démarrage plus confidentiel pour finalement s’installer. Il est désormais très bien référencé dans les bibliothèques académiques et largement cités dans des mémoires de fin d’études ou dans les bibliographies… Le site qui lui est dédié continue d’ailleurs d’accueillir beaucoup de visiteurs.
Faut-il être un écrivain pour écrire ?
B.J : Non ! Pas besoin d’être écrivain, sinon personne n’aurait jamais écrit avant d’être écrivain ! On devient écrivain en écrivant. Et puis, écrivain, ça fait peur ! Alors revenons sur quelques vérités qui rassurent. La première, c’est que tous les écrivains ne se valent pas et qu’il en faut pour tous les goûts. La deuxième, c’est qu’il convient de faire la différence entre l’art de l’écriture associé à la littérature et l’écriture technique. Guides, récits, témoignages, méthodes font partie de cette dernière.
C’est dans cette catégorie d’ouvrages que nous retrouvons les écrits d’experts. Quels sont les fondamentaux qui les caractérisent ?
B.J : J’en vois quatre que je formulerais sous forme de questions. La première est la question initiale du POURQUOI : qu’est-ce que j’ai à raconter, à transmettre de plus que ce qui existe déjà sur le marché ? Mon angle est-il unique, mon analyse novatrice, mon sujet inédit ? Sans quoi, difficile de trouver un intérêt auprès d’un éditeur et de lecteurs…
le deuxième est le COMMENT : quelle approche, quel style, quel format m’apparaissent les plus pertinents en fonction de ma cible ?
La troisième est l’ENCHAINEMENT. C’est ce qui va motiver le lecteur à poursuivre sa lecture, ce qui va le tenir en haleine. D’un chapitre à l’autre, il doit apprendre, grandir. La structure du livre est essentielle.
La quatrième, est la série des QQOCP de Lasswell : Quoi / Qui / Où / Comment / Pourquoi ? À la manière d’un journaliste, je passe en revue l’ensemble des questions que se poseront mes futurs lecteurs. Rien de bien original me diras-tu, mais il n’est pas rare de se lancer dans l’écriture en oubliant ces questions simples qui posent un cadre et une problématique.
Revenons sur la question du POURQUOI. C’est souvent le point de blocage pour celles et ceux qui n’osent pas concrétiser leur projet d’écriture : leur légitimité quand tant d’ouvrages sortent chaque année sur le même thème !
B.J : Tu as tout à fait raison. Je distingue trois catégories d’auteurs. La star, le journaliste et l’expert. La plupart des auteurs sont des experts qui apportent leur vision personnelle sur un sujet pointu. C’est très probablement dans cette catégorie que les lecteurs de ce blog se situent principalement. Ils seront légitimes s’ils sont capables de faire la démonstration de leur expertise et de choisir une posture clairement différente de leurs confrères.
Imaginons que la personne qui lit cet article soit un expert reconnu, conscient de l’originalité de sa vision. Que pourrais-tu lui dire pour l’aider à se lancer dans l’écriture ?
B.J : Prends un crayon et un papier, ou ouvre une page vierge sur ton ordinateur et…commence à remplir l’espace. Tu peux par exemple tout simplement rédiger en ouverture « Il était une fois… », quitte à le supprimer par la suite (ce qui sera certainement le cas). Mais à un moment, il aura eu une vertu… Celle d’enclencher le mouvement. Écrire, c’est comme une course, il faut commencer.
Ensuite, ne cherche pas à écrire un chef d’œuvre, ni même pas un « bon » livre. Ton objectif est de transmettre quelque chose. N’oublions pas que des génies ont jeté une grande partie de leur travail au cours de leur chemin créatif car il ne correspondait plus à ce qu’ils voulaient exprimer. Reste humble et commence déjà à écrire quelque chose qui tient la route.
Enfin, mets-toi en condition d’écriture. Tu as besoin de calme ? Isole-toi ! Tu es inspiré par les endroits fréquentés, l’énergie d’un café ? Vas-y, change de cadre ! Se cerner en tant qu’auteur et s’imposer ses propres règles est très important. J’ai conseillé un jour à un auteur « dispersé » qui avait 1000 idées à la minute, d’ouvrir simultanément deux écrans : un pour écrire, l’autre pour noter tout ce qui lui passait par la tête. Ça l’a beaucoup aidé. Personnellement, je conçois chaque livre en ayant en tête un ETOC -Expanded Table Of Contents – qui me permet de structurer mes propos et de ne rien oublier. Je ne crois pas du tout à la nécessité de consacrer des mois entiers à l’écriture. D’ailleurs, c’est un luxe que peu d’entre nous peuvent s’offrir ! Fais avec qui tu es, et laisse parler l’auteur qui es en toi. Sais-tu que Maupassant a écrit « une vie » en…21 jours ? Que Zola n’envisageait pas l’écriture sans passer par un script détaillé avec une description précise de ce qu’il voulait faire ? Deux auteurs de génie, deux postures d’auteurs opposées.
Concernant les ouvrages d’expert, je trouve la technique de l’interview très libératrice et féconde. Recueillir des témoignages rend ton écriture vivante, la nourrit de verbatims et garantit une production de contenu relativement simple.
Quelle serait la meilleure raison de ne pas se lancer dans un projet de livre ?
B.J : J’en vois trois. D’abord, l’absence d’une vision qui embarque. Ensuite, le renoncement à soi-même. On écrit comme on est et surtout pas dans l’idée de ressembler à tel ou tel auteur. Enfin, la recherche de revenus supplémentaires : rares sont les auteurs qui vendent au-delà de 2000 exemplaires (c’est bien souvent moins) et ceux qui vivent de leurs livres sont encore moins nombreux !
Toi qui as été édité dans différents pays, quel est ton regard sur le monde de l’édition ?
B.J : Il n’y a pas un monde de l’édition, mais des éditeurs avec leurs attentes, leurs thématiques de prédilection, leurs collections et leurs contraintes. Aux États-Unis, très peu d’éditeurs acceptent des manuscrits en direct. La plupart passent par des agents qui jouent le rôle de « filtreurs ». Ces mêmes agents font un gros travail de réécriture dans une culture adepte de modélisation. C’est pourquoi les livres se ressemblent beaucoup. C’est d’ailleurs vrai dans d’autres formes artistiques…En France, c’est le contraire. On encourage la singularité. La survalorisation de la singularité se ressent aussi chez les éditeurs qui sont parfois tentés de donner trop la parole à des personnes singulières qui, je pense, manquent souvent de nuances. Le seul fait d’être différent ne suffit pas à rendre le propos intéressant…
Un conseil pour taper dans l’œil d’un éditeur ?
B.J : Je reviens sur l’originalité qui fait que parmi toutes les propositions de manuscrits soumises à un éditeur, quelques unes seulement retiendront son intention. Les éditeurs ne sont pas dupes. La redite, le sujet ressassé ne les intéressent pas. Par ailleurs, les éditeurs sont attachés à leurs collections. à ce niveau, je ne suis pas un exemple ! Je suis systématiquement « hors collection ». Au fil du temps, être en dehors des cases est devenu ma marque de fabrique. Mais cela peut être piégeant. En effet, vouloir, après coup, entrer dans les cases, exige un énorme travail de réécriture qui souvent décourage autant l’auteur que l’éditeur.
Jusqu’où va la collaboration dans l’écriture entre l’auteur et son éditeur ?
B.J : Là encore, ça dépend des éditeurs. Pour les livres de non-fiction, il n’est pas nécessaire d’avoir écrit son contenu intégralement pour le présenter à une maison d’éditions. Certains éditeurs aiment être associés en amont et pouvoir conseiller, voire influencer l’écriture.
Mais tous les éditeurs apprécient de recevoir un synopsis, autrement dit un document de quelques pages qui comprend : un titre provisoire (provisoire car les éditeurs se targuent de savoir trouver les titres qui feront vendre et en font leur prérogative) ; une présentation du sujet (de quoi parle le livre) ; un angle (comment le livre parle-t-il du sujet ? Est-il pédagogique, provocateur, engagé, évangélisateur, rectificateur…) ; une liste de livres qui ont déjà été publiés sur ce sujet (en quoi diffèrent-ils du vôtre) ; la cible (à qui s’adresse le livre : à des néophytes, à des experts, etc.) Ajoutez à cela une courte bio, un CV classique et surtout des feuillets. Trois et cinq pages déjà écrites suffiront à juger votre style.
Faire valoir une présence en ligne et des accointances dans les médias qui contribueront, le moment venu, à la promotion du livre, est un plus. Si votre entreprise ou une entreprise est prête à acheter quelques centaines d’exemplaires de l’ouvrage ou plus, pour les offrir à ses clients ou ses salariés, c’est idéal !
Dans un milieu relativement fermé, prend-on un risque à contacter plusieurs éditeurs ?
B.J : Il faut au contraire contacter simultanément plusieurs éditeurs. En cas de refus, ne vous privez pas de demander à votre interlocuteur vers quel autre éditeur vous pourriez-vous tourner. Ils ont l’habitude et le font volontiers, dans un secteur très consanguin. Pour mon premier ouvrage, j’ai d’abord signé un contrat avec Les Presse du Management, une belle maison d’édition qui a fait faillite, me laissant au milieu du gué. Je suis alors parvenu à trouver un second éditeur très prestigieux qui voyait dans mon livre une opportunité de donner à son image très sérieuse, un souffle d’irrévérence. Cela m’a obligé à sérieusement retravailler le livre. Mais, au dernier moment, l’éditeur a pris peur et décidé de ne plus publier le livre en rompant le contrat. Mon bâton de pèlerin, qui commençait à s’user, m’a alors conduit chez un troisième éditeur (Dunod – Maxima) qui fut le bon et que je remercie encore.
Certains experts commencent par publier des contenus en ligne, sur leur blog ou sur des plateformes thématiques. Est-ce une bonne idée ?
B.J : Absolument pas ! Les éditeurs ont horreur de publier quelque chose qui l’a déjà été, même sur un blog, aussi modeste soit-il. Un blog peut en revanche être un moyen de se faire une plume, de s’essayer à différents styles ou sujets avant de se lancer dans la rédaction d’un livre. Gardons aussi à l’esprit que le livre est un format d’édition qui ne convient pas nécessairement à tous les auteurs.
Reste le cas de personnes parvenues à se faire connaître sur Internet et qui publient ensuite un livre. On retrouve alors un phénomène ancien que m’expliquait l’un de mes éditeurs à mes débuts. Ce n’est pas un livre qui rend célèbre, à quelques rares exceptions naturellement. Mais c’est parce que vous êtes célèbre que l’opportunité vous est donnée d’en écrire un.
As-tu déjà eu des propositions de coécriture ?
B.J : Oui à de nombreuses reprises, mais cela n’a pas abouti. Les aspirants auteurs qui se rapprochaient de moi n’était en réalité pas suffisamment motivés ou préparés. Pour celles et ceux qui se lancent à plusieurs dans l’écriture d’un ouvrage je conseille d’être au clair, dès le début, sur la répartition des tâches. Soyez conscients qu’il y en aura toujours un qui fournira plus de temps et de contenu que l’autre. Accepter ce déséquilibre me semble primordial. Tous les témoignages de coauteurs vont dans ce sens. Le plus gros défaut des auteurs travaillant sur un même livre est, qu’en réalité, ils travaillent sur deux projets différents. Leurs visions divergent ce qui aboutit à l’écriture de deux livres en un. Et le résultat est souvent décevant. Mon conseil est simple : choisissez bien votre coauteur, mettez vous d’accord sur la répartition du travail en acceptant de facto ce déséquilibre.
Quant à la différence de style, elle est, dans certains cas, acceptée, recherchée et appréciée par les lecteurs. Dans d’autres cas, elle nuit à la lecture et nécessite un travail de réécriture qui peut alors être confié à une tierce personne, avec, forcément, des coûts supplémentaires. L’éditeur et les auteurs doivent absolument faire le point en amont sur ce point.
Quel principal bénéfice tires-tu de la publication de tes ouvrages ?
B.J : La publication d’un ouvrage n’apporte pas que des bénéfices. Les uns vous jalousent, les autres vous croient prétentieux, ou encore, vous classent dans la catégorie des mythomanes sympathiques ! Plus globalement un ouvrage permet de développer sa notoriété, parfois sa popularité et surtout son autorité ou sa légitimité dans son domaine.
Notre culture qui a viré aux écrans, comme le reste du monde, demeure néanmoins attachée à l’aura de l’écriture et au statut du livre. Henri Miller écrivait dans Souvenirs, Souvenirs : « Dans l’écriture, ce n’est pas ce que tu fais qui compte, mais ce que cela te fait ». Cela résume assez bien le bénéfice principal, à mon sens.
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Merci pour cet article inspirant.