Une des raisons de notre mal être vient de notre relation au stress. Il serait à l’origine d’un arrêt maladie sur deux en France ! Plusieurs questions se posent : peut-on l’éviter ? Existe-t-il des antidotes au stress ? Se pourrait-il que le stress ait aussi ses vertus ? Et le Chief Happiness Officer dans tout ça ? Pour y répondre, j’ai rencontré un « chasseur de stress ». Stéphane Yaich est coach, sophrologue, conférencier et formateur en « bien-être au travail ».
Anne Josse : Lors de tes interventions et dans ton ouvrage*, tu commences par expliquer ce qu’est le stress.
Stéphane Yaïch : Il me semble très important de comprendre le stress et ses mécanismes avant de chercher des solutions pour le gérer. Le stress est avant tout une réaction biologique. Notre héritage biologique nous permet d’être en alerte dès qu’un danger, ou la perception d’un danger, se présente. Le danger de mort était réel lorsque nous vivions dans les cavernes et que nous étions menacés par de féroces prédateurs. Aujourd’hui, la notion de danger est plus relative. Et pourtant, notre corps réagit comme si notre vie était en jeu ! La réalité bien tangible du mammouth en colère a fait place à des perceptions très subjectives. Preuve de cette subjectivité : une même situation génère un comportement différent d’un individu à l’autre.
A.J. : Par exemple ?
S.Y. : Eh bien face à un appel d’offres complexe, un individu peut l’envisager comme un obstacle insurmontable ! Il part battu d’avance. Cela peut se traduire par une perte de moyens et une réaction de fuite contre performante. C’est une adaptation négative au stress. Au contraire, son collègue de travail verra dans ce nouveau projet l’opportunité de relever un challenge et y trouvera une motivation supplémentaire. C’est ce que l’on appelle communément le « bon stress » et dans ce cas précis, il devient véritablement une aide à la performance. Nos réactions de stress, positives ou négatives, sont filtrées par nos traits de personnalité, par notre état physique et émotionnel du moment. Bien gérer son stress, c’est commencer par comprendre qu’il n’est rien d’autre que notre système d’alarme interne, qui nous envoie des signaux d’alerte physiques (accélération du rythme cardiaque et de la respiration, tension musculaire…) et que ces réactions sont amplifiées par notre perception subjective de la situation, directement connectée à notre mémoire inconsciente, à nos pensées automatiques et à nos émotions.
A.J. : Une étude menée aux Etats-Unis** nous apprend que certains métiers sont plus exposés au stress. Dans le Top 5 on trouve le métier d’organisateur d’événements. Un métier que tu as longtemps exercé…
S.Y. : En effet, une grande partie de ma carrière s’est déroulée au sein d’agences événementielles. Cette expérience sert de témoignage lors de mes formations. Le stress, je l’ai vécu au quotidien et je le transmettais autour de moi, auprès de mes équipes et de mes proches. Avec du recul, et en toute sincérité, je peux dire aujourd’hui que j’étais un manager stressé, donc stressant. En toute logique, cette exposition permanente au stress du métier, et du stress au travail (ce sont bien deux choses différentes), s’est mal terminée, avec un burn-out qui m’a amené à changer radicalement de voie professionnelle.
A.J. : En quoi le métier d’organisateur d’événement est-il particulièrement stressant ?
S.Y. : Au-delà de sa force créative et organisationnelle, le rôle de l’agence est d’absorber le stress de son client pour lui permettre de vivre son événement sereinement. Et si la communication événementielle est considérée comme l’un des métiers les plus stressants, c’est parce qu’elle rassemble les quatre grands facteurs stress au travail que sont : la perte de contrôle, l’imprévisibilité, le changement et l’égo***. Dans le monde de la communication et de l’événementiel, le succès vient en grande partie du travail de l’équipe. Créer un événement, c’est mettre en place une synergie de moyens humains, logistiques et technologiques, en grande partie externalisés. Seul, vous ne contrôlez rien ! Et cette interdépendance est génératrice de stress. A cela, s’ajoutent la pression des clients, la pression économique, la pression des outils numériques qui constituent les principaux déclencheurs de stress au travail. Un événement est une succession d’imprévus. Or, l’imprévisibilité, surtout lorsqu’elle est répétitive, est une source de stress chronique. Il y a des métiers et des fonctions plus exposés que d’autre.
A.J. : Qu’en est-il des deux autres facteurs aggravant du stress que sont le changement et l’égo ?
S.Y. : Nous évoluons dans un monde VUCA (Volatility, Uncertaintly, Complexity and Ambiguity). La spirale du changement est sans fin. Le monde de la communication est particulièrement exposé à ces changements et nécessite des adaptations constantes. Il évolue de manière rapide et imprévisible. Les clients sont inconstants, les outils technologiques impactent les modes de travail, le management, les modèles économiques deviennent rapidement obsolètes, et l’urgence est devenue la norme. Le stress naît de la crainte de sortir perdant de ce changement permanent.
Le quatrième facteur d’aggravation du stress est l’égo. Dans le monde professionnel, nous avons besoin de reconnaissance de l’effort fourni, de récompense, de gratification. S’il y a bien un monde dans lequel l’égo est particulièrement exacerbé, c’est celui de la communication et de la publicité. Jacques Séguéla n’a-t ’il pas dit « Si tu n’as pas ta Rolex à 50 ans, c’est que tu as raté ta vie. » ? J’y ajouterais, le dernier IPhone !
A.J. : J’ai bien compris ce qui pouvait générer le stress, mais comment le gérer ?
S.Y. : Il n’y a pas une méthode universelle. Mais il existe toute sorte d’outils adaptés à différents profils et aux différentes situations auxquelles on peut être confronté dans le monde du travail. Chaque outil proposé dans le livre que j’ai coécrit avec Cécile Neuville –Pro en gestion du stress- s’appuie sur des cas réels, vécus en entreprise. Si vous vous retrouvez dans l’un ou plusieurs d’entre eux, vous pouvez utiliser les 59 outils testés et éprouvés en entreprise (sophrologie, cohérence cardiaque, PNL, bouton off, yoga du rire, matrice Eisenhower, auto massages…) et mettre en place un plan d’action adapté à vos besoins. Cela ne remplace pas l’accompagnement d’un professionnel, mais c’est une première étape pour prendre son stress en main, initier une démarche, et, à travers elle, entamer le chemin vers votre mieux-être.
A.J. : Y a-t-il néanmoins des outils incontournables que nous devons tous connaître et activer, qui seraient en quelque sorte les « fondamentaux » de la gestion du stress ?
S.Y. : Dans toute la palette des outils à notre disposition, trois me semblent essentiels pour mieux gérer son stress. D’abord la respiration. Elle permet d’apaiser physiologiquement notre corps en ralentissant le rythme cardiaque et le rythme respiratoire. Ensuite la connexion à l’instant présent. On évalue à 60000 le nombre de pensées qui nous arrivent en vrac chaque jour. Or, nos pensées sont nos plus grands stresseurs. La plupart du temps, elles nous renvoient au passé ou nous projettent dans un avenir hypothétique et surtout, nous déconnectent du présent. Des études prouvent que 80% de notre stress est celui que nous fabriquons nous-mêmes à cause de notre dialogue intérieur, souvent négatif. Plus nous réduisons nos pensées, plus nous limitons nos émotions et donc, notre stress. Pratiquer la pleine conscience et utiliser des méthodes telles que la technique du « S.T.O.P. » (Stopper toute activité, Temps de respiration consciente, Observer ses émotions, Passer à l’action) peut s’avérer très utile ! Enfin, troisième outil indispensable qui permet de cultiver l’optimisme au travail : la visualisation positive. Elle consiste à se projeter positivement dans l’action, à accepter et relativiser tout qui nous arrive, y compris l’échec, et à ne pas généraliser. Contrairement au pessimiste, l’optimiste intègre la notion du négatif, mais il ne s’y attarde pas.
A.J. : Les dirigeants et managers que tu accompagnes sont-ils sensibles à cette visualisation positive ? Et surtout sont-ils prêts à l’appliquer ?
S.Y : Le rôle du manager est une clé dans l’obstacle au bien-être des collaborateurs. En connaissant mieux le stress, en apprenant à le repérer et à le gérer, il va mécaniquement enlever du stress à son équipe. Pour rendre son équipe heureuse au travail, la visualisation positive est essentielle.
A.J. : Que penses-tu de la fonction de Chief Happiness Officer ?
S.Y. : En tant que « happyculteur », j’y suis parfaitement favorable. Ses détracteurs n’ont pas compris son rôle. Le CHO est à la croisée des chemins de différents métiers de l’entreprise et diffuse son sens de l’entreprise heureuse. Il ne s’agit pas de se substituer aux managers, mais d’être le garant d’une politique de bien-être à tous les niveaux de l’organisation. Comment faire respecter l’intégrité physique et mentale des équipes et aider chaque manager à devenir un ambassadeur d’épanouissement au travail ? Lorsqu’il se situe entre la direction de communication et les Ressources Humaines et à condition qu’on lui donne un réel pouvoir sur le changement et la qualité de vie au travail, le CHO peut aider à transformer l’entreprise. Le grand débat porte sur la notion de « bonheur ». L’équation du « bonheur au travail » est une alchimie complexe dans laquelle chacun doit y trouver un bénéfice. Chaque collaborateur aspire à vivre heureux dans son entreprise et dans son métier. De son côté, l’entreprise heureuse est une entreprise bienveillante qui considère ses collaborateurs comme ses premiers clients et qui met leur épanouissement au cœur de sa stratégie. Elle est gagnante lorsqu’elle attire de nouveaux talents et qu’elle fidélise son capital humain.
A.J. : Une bonne gestion du stress est-elle une qualité essentielle dans le monde de la communication ?
S.Y. : J’irais plus loin. D’abord en élargissant cette affirmation au monde du travail dans sa globalité. Ensuite, en rappelant que la gestion du stress est considérée comme un « soft skill » incontournable. En effet, cela ne sert à rien d’être un expert de son métier, si l’on perd ses moyens à la moindre difficulté, devant un client exigeant, voire agressif, et que l’on est en surcharge émotionnelle, pour un « oui », et surtout pour un « non ». Un collaborateur qui gère bien son stress est plus apte à résoudre des problématiques complexes, à travailler sereinement en équipe, et est plus créatif. C’est surtout le manager bienveillant de demain !
AJ : Pour finir, as-tu un message pour les jeunes qui font leur entrée dans le monde du travail ? Et aux moins jeunes qui envisagent, comme toi, de changer de métier ?
S.Y. : « Ayez soif d’authenticité. Ne vous mentez pas. A chaque fois que vous avez mal, que vous n’êtes pas bien, que votre corps vous fait souffrir, que vous avez peur, dites-vous que ces situations de stress sont des signaux forts qui peuvent être très positifs si vous les écoutez. Vous avez le pouvoir d’être votre propre happyculteur. Une situation revient souvent chez les personnes que j’accompagne et je l’ai moi-même vécue : celle d’endosser le costume d’un autre. Mieux se connaitre et s’accepter permet de faire les bons choix et de sortir du stress ! C’est ce que j’ai fait en devenant coach et sophrologue. Et tu sais quoi ? Je n’ai jamais été aussi heureux ! Soyez vous-mêmes !
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*Pro en gestion du stress : 59 outils 10 plans d’action métier, Cécile Neuville et Stéphane Yaïch, éditions Vuibert, 2019.
** classement 2017 des métiers les plus stressants, établi par CareerCast
*** Selon Sonia Lupien, fondatrice et directrice scientifique du Centre d’Études sur le stress humain au Canada
Portrait photo de couverture : photographe David Ken (Lol project) / all rights reserved Stéphane Yaïch
Je suis en phase avec de nombreux aspects évoqués par cet interview…..sauf lorsqu’il s’agit des CHO ( et je ne me reconnais pas dans un « contradicteur qui aurait mal compris leur rôle » )
Et si RH voulait dire « Rendre Heureux » !
Comment les DRH et leurs équipes peuvent-ils accepter ces nouveaux postes qui fleurissent dans certaines entreprises de (CHO) chief hapiness officer ?
Comment dans ces entreprises a –t- on pu en arriver à créer des postes ( en plus et non à la place des RH) de créateur et diffuseur de bien-être, de bonheur au travail ?
Comment en 20 ans a-t-on pu en venir – dans certaines entreprises (pas toutes heureusement) – à créer des fonctions de CHO ? Qu’est ce que cela veut-il dire du sens et de la valeur travail ? du rôle des RH et des managers ?
Heureusement il existe des ilots de réflexion (et surtout d’actions !) s’interrogeant et mettant en pratique les apports de l’intelligence collective, de l’interculturel, de l’intergénérationnel.
Participant récemment à un déjeuner- débat sur le thème « L’intelligence artificielle dans la banque : quelle réalité et quelles perspectives ? », débat à la fois fascinant et parfois inquiétant, mais au cours duquel j’ai pu entendre de patrons d’IBM Watson, Orange, Crédit Agricole, Société Générale :
« il y a et il y aura toujours l’intelligence rationnelle (calculs probabilistes, algorithmes, etc..) et «l’ intelligence relationnelle », car nous devons prendre en compte l’émotion, l’intuition, l’imprévisibilité des décisions humaines…
« Ceux qui gagnent sont ceux qui réussiront le changement managérial »
« L’IA ne ment pas mais elle peut se tromper »
« L’IA n’est pas capable d’apprendre elle-même » (sous- entendu sans la présence humaine…ouf !)
la fonction RH est – et a toujours été – contingente de l’environnement politique, économique, écologique, démographique, juridique, technologique, c’est donc à elle d’anticiper et de co-organiser et gérer avec les managers les changements en cours.
Entreprises libérées, management horizontal, démocratie participative, équipes responsables et autonomes, team flexibles et interconnectés, managers détecteurs et « accordeurs de talents®, développeurs de capacités et d’atouts, animateurs d’équipes en intelligence collective, efficacité et richesses intergénérationnelles et interculturelles, etc…sont aussi et surtout l’affaire des responsables de ressources et relations humaines !
Bref de beaux jours encore pour de vrais responsables de GRH c’est-à-dire qui « rappellent à temps et à contretemps la nécessité humaine » et qui considèrent que leur rôle est aussi de rendre les collaborateurs heureux….ou moins « malheureux » et nul besoin de sacrifier à ces modes nord américaines !
Merci beaucoup pour ton commentaire Jean-Pierre. C’est toujours bon signe quand une publication suscite réactions et commentaires. Cela prouve l’intérêt du sujet. En même temps, cela valorise l’engagement et de l’interviewé et du lecteur. Ton point de vue est très intéressant et alimente le débat. Il prouve aussi que le rôle du CHO, sa légitimité au sein des organisation, reste un point de crispation. Bonne journée Jean-Pierre.
Bonjour
Merci d’avoir pris le temps pour ce long commentaire.
Le rôle du manager est de créer l’équilibre entre son rôle d’encadrant, de coach et de facilitateur d’épanouissement au travail, sans oublier l’exercice de son métier.
Or, les nombreuses études portant sur l’épanouissement et le bien-être au travail placent le manager au coeur des attentes des collaborateurs : plus de reconnaissance, plus de communication, plus de bienveillance…
Depuis 20 ans que j’accompagne les entreprises en tant que conseil, je rencontre des managers en souffrance qui courent après le temps et n’ont pas le temps de manager.
Je l’ai moi-même vécu en tant que responsable d’équipe et de dirigeant.
Lorsque la pression de l’activité et économique prend le dessus, tout le reste passe au second plan. Et dans « tout le reste », il y a le bonheur des salariés, la célébration des victoires, les mercis et les bravos.
Pourquoi s’élever contre la création de nouvelles fonctions qui viennent faciliter cet épanouissement ?
Le CHO ou tout autre titre que l’on pourrait donner à cette fonction, est un observateur, un facilitateur et un activateur, et non un créateur de bien-être. Il est censé avoir l’écoute du CODIR et avoir un pouvoir d’action pour tout ce qui peut contribuer à la création d’une entreprise heureuse. Par là, j’entends une entreprise où l’on se sent bien, pour laquelle on est prêt à se lever le matin et pour laquelle on s’engage sans réserve.
Il peut intervenir sur l’aménagement des postes de travail et des espaces de repos/convivialité, sur l’accueil des nouveaux entrants et la ritualisation des temps de ressourcement, barrière anti-burnout.
Il ne s’agit donc pas d’un poste « gadget » mais d’une nouvelle génération de métiers comme nous en voyons fleurir chaque jour avec le numérique.
Le CHO favorise notamment l’Intelligence Emotionnelle et relationnelle qui prend largement le dessus sur le QI, tout comme les soft skills sont au centre des entretiens de recrutement.
Loin d’être un gentil animateur comme peuvent le décrire les médias, le CHO aide l’entreprise à passer de la gestion des ressources humaines à la gestion humaine des ressources.
J’ai rencontré la semaine dernière au Forum de la Qualité de Vie au Travail une DRH d’un groupe industriel qui a quitté son dernier poste car elle était devenue une machine à licencier et que le sens premier de son métier de DRH s’était évanoui. Elle voulait retrouver ce moteur pour lequel elle s’était engagée dans les ressources humaines.
Tout ce qui peut l’aider à agir sur les leviers du bien-être au travail est accueilli à bras ouverts.
Les RH n’ont pas pour rôle de rendre heureux les salariés mais, par une symétrie des expériences clients et collaborateurs, ils peuvent permettre aux salariés de vivre une expérience collaborateurs positive.
Je travaille sur cette démarche depuis 1992. Cela n’est donc pas nouveau, même si cela porte un autre nom aujourd’hui 🙂
Encore merci pour votre réaction et d’entretenir cette réflexion sur les RH
Belle journée