L’IA impacte t-elle les droits d’auteur ?

Les droits d'auteur au regard de l'IA

Les réponses aux questions que vous vous posez sur les droits d'auteurs avec l'IA

Le droit d’auteur est au centre de plus en plus de batailles juridiques. Il est également au cœur de nombreux échanges en formation. Vous êtes communicants et souhaitez utiliser l’IA avec éthique et dans le respect des règlementations ? Pour vous, j’ai épluché des textes, interrogé différentes IA et surtout, bénéficié de l’expertise de Lucie Chênebeau, avocate au barreau de Paris, collaboratrice au cabinet Colbert. Les réponses à ces 12 questions que vous vous posez sont à placer dans le contexte d’une date : celle de a publication de cet article le 12 février 2025. En effet, les règlementations en matière d’IA sont amenées à évoluer. Restons en veille !

L’IA en questions : 12 réponses juridiques sur les droits d’auteur

1. Droits d’auteur, de quoi s’agit-il au juste ?

Avant de se poser la question des droits au regard de l’Intelligence Artificielle, rappelons ce qu’est le droit d’auteur. Il comprend deux types de droits : les droits moraux et les droits patrimoniaux. Les droits moraux visent à protéger les intérêts non économiques de l’auteur, en sauvegardant l’expression de sa personnalité dans son œuvre. Par exemple, ils permettent de refuser la diffusion d’une œuvre sans votre accord. Les droits patrimoniaux, en revanche, interdisent l’utilisation de votre œuvre sans votre autorisation et sans compensation financière. Cependant, ils ne protègent pas les idées ou les concepts en eux-mêmes. Lucie Chênebeau rappelle par ailleurs qu’ « il n’existe pas en France de notion de copyright. Ce terme est principalement utilisé dans les pays anglo-saxons et dans le droit de common law. Il se réfère également aux droits accordés aux créateurs d’œuvres originales, mais il est souvent utilisé dans le contexte des lois et des systèmes juridiques de ces pays. Il faut également savoir que le symbole © n’est pas une condition de protection en France, car dans notre pays, la protection par le droit d’auteur est automatique dès la création de l’œuvre, sans nécessité d’enregistrement ou de formalité particulière.« 

2. En France et en Europe, si j’utilise une IA générative pour créer un visuel, en suis-je l’auteur ? Et à ce titre, puis-je prétendre à des droits d’auteur ?

Maître Chênebeau nous invite à la plus grande vigilance : « Une fois n’est pas coutume en matière de droit… la réponse est : ça dépend ! Notamment du prompt  qui a permis de générer l’image. Si par exemple je mentionne dans mon prompt une œuvre existante ou un auteur qui serviront d’inspiration à ma création, le risque que l’IA puise dans les œuvres préexistantes de cet auteur sont de facto plus grandes et celui de contrefaçon augmente. »

Il est donc essentiel, lorsque je conçois mon prompt, de m’assurer je suis dans la légalité. Sinon, je pourrais me mettre en situation de plagiat ! Dans le cas où mon prompt serait écrit de sorte à ne pas se heurter aux droits d’autres auteurs, OUI, pour le moment, en tant que créateur de ce prompt, je suis l’auteur du visuel généré.

Sachez qu’en France et en Europe, deux conditions sont exigées en matière de droit d’auteur : : l’implication humaine et l’originalité. En tant que prompteur ou prompteuse, j’interviens humainement. Plus mon implication dans le processus créatif est important, plus j’aurais de chance d’obtenir une protection par le droit d’auteur. L’œuvre doit aussi être considérée comme originale pour bénéficier d’une protection. Cela implique que notre contribution personnelle soit significative et que l’IA soit utilisée comme un simple outil

3. Qu’en est-il les droits d’auteur concernant les créations musicales et les écrits ?

Et bien c’est exactement la même chose ! Toute personne physique se servant d’une IA comme outil pour créer une œuvre est considérée comme l’autrice de cette œuvre. Aujourd’hui, la notion de cocréation IA / Humain n’est pas encore statuée. C’est à observer de près car cette idée est au cœur de nombreux débats…

4. Qu’entend-on exactement par « intervention humaine » ? Si je génère un texte ou un visuel avec un ou plusieurs prompts, sans retoucher les contenus générés et en laissant à chaque fois l’IA modifier par elle-même le résultat en s’adaptant à mes indications, est-ce suffisant ?

Par intervention, on entend la conception des prompts mais aussi les choix artistiques, ou les modifications apportées après la génération initiale par l’IA. Les prompts (instructions données à l’IA) sont essentiels pour orienter la création. Si je rédige un prompt spécifique et détaillé qui reflète une vision ou une intention artistique, cela peut être considéré comme une intervention humaine significative.

5. Le droit d’auteur concernant les créations avec l’IA est-il le même aux États-Unis ?

Aux États-Unis comme ailleurs, le droit se construit en même temps que l’IA ! L’organisme américain Copyright Office explique que, dans l’état actuel des technologies d’IA, l’influence humaine sur le résultat produit reste limitée. Même avec des instructions détaillées, la création finale reflète principalement l’œuvre de l’IA et non celle de l’utilisateur. Maitre Chênebeau nous informe qu’aux Etats-Unis aussi tout est une affaire de nuance : « en mars 2023, l’office a publié des directives précisant que les œuvres impliquant un « travail humain suffisant » peuvent être sujettes aux droits d’auteur. Cela suggère une approche au cas par cas, où l’implication humaine dans le processus créatif est cruciale. »

6. Faut-il indiquer que l’image ou le texte que je diffuse a été généré avec l’aide d’une IA ?

Le code des bonnes pratiques sur la publicité et la communication ICC[1] de novembre 2024 aborde le sujet de la communication avec l’IA. Pour le moment, il n’y a pas d’ obligation juridique à proprement parler pour les communicants, d’indiquer le contenu a été généré par une IA. Les préconisations éthiques vont vers un maximum de transparence. Il est recommandé d’indiquer lorsque le contenu est généré par l’IA, que ce soit du texte ou de l’image (illustration, vidéos). Mais la règlementation vise en premier lieu les fournisseurs d’IA, avec l’obligation d’étiquetage des contenus générés par l’IA. De plus en plus de plateformes prennent les devants et imposent aux créateurs de contenus de mentionner si le contenu a été généré avec une IA. Par exemple, YouTube oblige désormais les créateurs à préciser si un contenu réaliste a été créé ou modifié par IA. Des étiquettes apparaîtront dans la description des vidéos concernées, avec un libellé plus visible pour les sujets sensibles.

7. Quelles sont les règlementations européennes 2025 en matière d’étiquetage des contenus IA  ?

L’IA ACT[2], souhaite plus de transparence sur l’origine des contenus. Entré en vigueur en août 2024, avec un début d’application en février 2025, il impose aux fournisseurs de systèmes d’IA générative l’intégration de mécanismes indiquant que le contenu a été généré par l’IA. L’étiquetage des contenus peut se faire par des filigranes invisibles par l’homme mais détectables par les logiciels, ou par les métadonnées où figureront en plus de la date et du nom de l’auteur, l’IA utilisée.

Le saviez-vous ? Adobe a lancé le « Content Credential », une icône universelle pour identifier les contenus générés par IA. Bien que son utilisation ne soit pas obligatoire, 2000 entreprises, dont Microsoft et Nikon, l’ont déjà adoptée. Quant-à Meta, elle exige une étiquette IA pour les contenus contenant des vidéos photoréalistes ou des sons réalistes créés par IA.

8. Je crée un visuel avec une IAG. Ma création est de mon point de vue, et en toute honnêteté « originale ». Je décide donc de la diffuser. Une personne m’interpelle et me fait remarquer que mon visuel présente beaucoup de similitudes avec celui qu’elle a elle-même généré avec une IA, et qu’elle a diffusée avant moi. Cette personne peut-elle revendiquer son droit d’auteur et me considérer comme contrefacteur?

Cette question a été pausé à une de mes collègues, elle aussi formatrice Cegos France et experte en stratégies digitales : Pauline Mahut. La réponse de Lucie Chênebeau est restituée intégralement pour en comprendre toutes les subtilités : « Cela dépend du degré de similitude entre les œuvres d’une part mais aussi de l’originalité de l’œuvre initiale de la personne ! Car il est probable que cette œuvre, générée avec une IA, manque d’originalité. Dans ce cas, il lui sera difficile de revendiquer un quelconque droit d’auteur ! Rappelons le principe essentiel en droit d’auteur de l’originalité de l’œuvre. Il me semble important de souligner un autre point : personne n’est à l’abri d’une situation de contrefaçon, sans même le savoir ! En matière de contrefaçon, la bonne foi n’a pas d’impact. Si je publie une œuvre que je pense être originale, alors que quelqu’un, sans que j’en aie connaissance, a publié une œuvre quasi identique, je peux me retrouver en situation de contrefaçon. L’analyse des deux œuvres peut amener à la conclusion de contrefaçon. Mais cela ne vaut que si la personne qui revendique son droit d’auteur a pu faire la preuve de l’originalité de sa création ! Et en matière d’IA, certains contenus générés sont parfois relativement « banals ».

9. Existe-t-il des pourcentages officiels sur les degrés de similitude autorisés entre deux contenus ?

« Cela ne concerne pas à proprement parler l’IA mais toute œuvre, créée ou non avec l’aide d’une IA. » précise Maître Chênebeau. « Il n’existe pas de pourcentage de similitude universellement accepté pour le plagiat, car les seuils varient selon les institutions et les types de travaux ». Et d’ajouter : « les juridictions françaises raisonnent plutôt par «impression d’ensemble», sachant que la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances et non les différences. L’appréciation du «plagiat» de thèses et de mémoires faite par les universités au moyen de logiciels spécifiques peut parfois conduire à des conclusions différentes de celles qu’auraient retenu les juridictions. »

Cependant, tentons de dégager quelques tendances générales, sourcées à l’aide plusieurs IA génératives pour croiser les résultats (merci les IA Perplexity / Mistral / ChatGPT / ChatPDF) :

  • Pour les dissertations et travaux universitaires : la plupart des institutions tolèrent entre 5% et 15% de similitude. Certaines universités fixent des seuils spécifiques, comme l’université Toulouse 1 Capitole qui admet jusqu’à 15% ou Paris 1 Panthéon-Sorbonne qui accepte 12%
  • Pour les mémoires : le taux acceptable se situe généralement entre 5% et 10%
  • Pour les thèses : le pourcentage de plagiat ne devrait pas dépasser 20%
  • Pour les documents en général : un score de similarité inférieur à 10-15% est généralement considéré comme acceptable
  • Pour la musique, Il s’agit de déterminer si un auditeur moyen peut percevoir que deux œuvres sont très similaires. Cela inclut des éléments comme la mélodie, le rythme, les accords ou les paroles

10.  En cas de litige, puis-je demander à un éditeur d’IA de me fournir les traces de mes prompts ?

Le délai de conservation des prompts dans les versions gratuites est très courte et varie d’un outil à l’autre. Certaines plateformes ou applications peuvent stocker localement l’historique des conversations sur votre appareil. Cela signifie que même si les données ne sont pas conservées sur les serveurs , elles peuvent être accessibles localement. Les paramètres de confidentialité de l’application ou de la plateforme que vous utilisez peuvent permettre l’accès à l’historique des conversations. Dans le cas d’une création amenée à être diffusée dans le cadre d’une campagne et/ou à être commercialisée, il est vivement conseillé de conserver l’historique de vos prompts.

11. Quelques conseils pour respecter les droits d’auteurs dans la création de contenus avec l’IA

En résumé, pour vous protéger au maximum dans le contexte actuel, voici quelques recommandations :

✔️Ne jamais mentionner explicitement un auteur ou une œuvre

✔️Utiliser comme références, des œuvres tombées dans le domaine public[3]

✔️Utiliser des visuels libres de droits patrimoniaux comme source d’inspiration

✔️Garder une trace détaillée du processus créatif, y compris les instructions données à l’IA et les modifications apportées aux résultats générés.

✔️Etre transparent sur l’utilisation de l’IA dans la création de l’œuvre. Cela peut vous protéger contre d’éventuelles accusations de tromperie

✔️Ne pas se contenter du premier résultat et enchainer les prompts pour affiner votre processus créatif

✔️Intervenir sur les résultats générés pour ne pas laisser l’IA seule créative de vos contenus.

12. En tant qu’auteur ou autrice, puis-je demander à l’IA de ne pas se servir de mes œuvres dans la génération de nouveaux contenus ?

Cela intéressera tout particulièrement les artistes, graphistes, directeurs artistiques, photographes, auteurs et autrices de textes et toutes les personnes qui vivent de leurs créations.

Il existe une option d’Opt-out pour les œuvres existantes. Si vous ne souhaitez pas que vos oeuvres soient utilisées par des IA, faites connaître votre volonté sur votre site internet de manière appropriée aux éditeurs de ces IA. Lire à ce sujet : https://www.proteger-ses-creations.com/ia-droit-dauteur/

Sources

[1] sources : 11ème édition du Code ICC sur la publicité et la communication commerciale. Télécharger le code ICC : https://iccwbo.org/wp-content/uploads/sites/3/2024/09/ICC_2024_MarketingCode_2024.pdf

[2] Lire : https://www.imatag.com/fr/blog/loi-europeenne-sur-ia-etiquetage-obligatoire-contenu-genere-par-ia

[3] Depuis une directive européenne du 29 octobre 1993, et donc dans l’ensemble des pays membres de l’Union, les œuvres entrent dans le domaine public « soixante-dix ans après le décès de leur auteur ou, s’il s’agit d’une œuvre de collaboration, 70 ans à compter du décès du dernier auteur survivant ».Attention, les droits moraux ne sont pas limités dans le temps. Je ne peux donc faire ce que je veux avec une IA à partir d’une œuvre tombée dans le domaine public. Les droits moraux doivent absolument être respectés.

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